Perdre l’audition, c’est souvent aussi " perdre " sa voix. C’est un aspect auquel on ne pense pas toujours au départ… peut-être parce que ma voix, c’est d’abord " pour les autres " - Et mon audition, d’abord " pour moi ". J’ai besoin d’entendre, c’est la première perte de mon corps blessé dont je prends conscience.
Et pourtant… on sent à travers ces témoignages un manque, une frustration, une souffrance… Ma voix – cet instrument de musique ! – ne vibre plus, ne " chante " plus, ne répond plus…
Et si l’on partait à la recherche de nos voix perdues…
" Pour quelqu’un privé d’ouïe, parler de la voix en général, de sa voix en particulier, c’est parler de quelque chose qu’il ne connaît plus "… qu’il ne connaît plus ou qu’il n’a jamais connu, dans le cas des sourds de naissance, pour lesquels la maîtrise de sa voix est particulièrement ardue.
Comment se faire comprendre ?
" Dans les rues, le métro, beaucoup de personnes me parlent, je leur dis que je n’entends pas et que je suis sourd, et les personnes me comprennent bien – En voyage en province, j’écris toujours sur des feuilles, et on me comprend très bien… "
" Comme je suis appareillée des deux côtés, je perçois ma voix et celle des autres. Etant petite, j’ai suivi des cours d’orthophonie pour apprendre à parler correctement avec l’aide d’un phoniatre. Sans mes prothèses, je ne pense pas que j’aurais pu parler correctement. Mais, j’ai quand même des défauts dans la voix : elle est basse, de plus j’ai " l’accent " ! Les bien entendants ont du mal à me comprendre la première fois qu’ils m’entendent. Dans la vie, je dois sans cesse faire des efforts pour répéter et parler plus fort. Ma mère, sourde de naissance également, parle plus aisément que moi. Elle a aussi " l’accent " ! Elle et moi, nous aimons chanter. Seulement nous chantons tout bas à la messe car nous chantons faux ! C’est notre seul regret. La voix est un " plus " dans la compréhension des mots prononcés, car nous lisons sur les lèvres. Autrement, nous nous en passons volontiers.
… " l’accent ", on le retrouve chez certains malentendants
" Jusqu’à l’âge de 35 ans, je n’ai jamais compris pourquoi on me trouvait " un accent ". Cela allait, selon l’amabilité et le milieu social du " d’où vient ce charmant petit accent " au brutal " vous n’êtes pas d’ici, vous ! " Je suis française, née de parents français à qui on n’a jamais trouvé le moindre accent, et j’ai toujours vécu en France en des lieux réputés sans accent ! alors ?
J’approchais de mes 40 ans (ma déficience auditive date de mes 5 ans) quand un oto-rhino à qui je signalais dès le début de l’entretien que j’entendais mal, m’a répondu : " oui je le savais à votre voix ! " Lumière ! Depuis, cela ne va pas mieux au contraire, mais au moins je sais pourquoi ! C’est intellectuellement nettement plus confortable.
On continue toujours dès que je parle à quelqu’un pour la première fois à m’interroger sur mon accent. Je ris et je réponds que contrairement à ce qu’on croit ce n’est pas d’origine géographique (Allemagne, Espagne ? s’interrogent les gens in petto) mais interne et qu’ils viennent d’apprendre quelque chose comme je l’ai fait moi-même face à un médecin."
" Il y a aussi les mots nouveaux prononcés de travers mais en général les gens sont compréhensifs pour cela et expliquent la bonne prononciation."
C’est que nos voix nous deviennent étrangères… parfois elles ne changent guère…
" Aux dires des entendants, ma vie ne semble pas être changée, mais, je chante – paraît-il – de plus en plus faux… hélas ! car j’aime chanter. "
" Oh la voix ! quelle belle chose ! lorsque l’on me demande souvent si je m’entends parler, c’est bien à
contre cœur que je réponds par la négative. Mais, chance pour moi, ma voix est soi disant restée comme celle de mes 16 ans. Je ne lui fais hélas pas trop confiance… "
Mais souvent notre voix – ou la perception que nous en avons – se modifie en même temps que notre audition.
" Il y a 7 ans, quand j’ai perdu presque toute mon audition, ma sœur m’a dit : " surtout, parle, parle, continue à parler ! " car je commençais à m’enfermer dans un mutisme dangereux… Dans un groupe de bien entendants, vous perdez facilement les occasions de parler si vous n’entendez plus… Je percevais ma voix lointaine, étouffée, de plus en plus grave… Pourtant, on me disait : " Toi, ta voix n’est pas criarde, elle n’est pas trop forte ; d’habitude, les sourds parlent trop fort… " Quand – par miracle ! – on me demandait de faire une lecture à la messe, on s’étonnait : " mais tu lis bien ! " et moi de répondre : " Mais je sais parler, je sais lire : " … Par contre si je baissais au maximum l’intensité de ma prothèse (dans la rue, dans un milieu bruyant), il m’arrivait de parler trop fort, - on parle comme on entend ! - et je souffrais qu’on me dise alors, sans ménagement : " Parle moins fort ! "… Au contraire, cela m’amusait (et me faisait plaisir même) quand mon interlocuteur me demandait de parler plus fort !
Le petit peu d’audition qui me restait à droite (un ou deux pour cent) me permettait donc, avec la prothèse – très puissante – de contrôler assez bien ma voix…
Mon audition continuait à baisser… et je percevais ma voix de plus en plus lointaine. Seul, le micro relié à ma prothèse semblait rapprocher ma voix. En ces temps-là, j’enregistrais quand même des cassettes pour une amie malvoyante et aussi des émissions à la Radio Notre-Dame, avec la FCS…
Je ne chantais plus en groupe – seule parfois, mais de moins en moins – et je me rendais bien compte que ma voix perdait de plus en plus son registre dans les sons aigus… Je ne pouvais chanter que très grave…
Puis ce fut la résurrection ! L’implantation cochléaire me permit de réinvestir le monde des sons, et ma voix en subit aussitôt les heureuses conséquences : " Oh, que ta voix a changé ! Elle commençait à devenir un peu criarde, à la fin… " Voilà que je prenais plaisir à m’écouter parler ! à moduler ma voix, à nuancer ses expressions… C’est tellement vrai que nous parlons comme nous entendons… Quelques mois après mon implantation, un de mes frères me disait pourtant que ma voix était alors un peu saccadée, un peu hachée… Je lui disais alors que je parle comme je voudrais qu’on me parle !… Et cet été deux ans après ce même frère m ‘a dit combien ma voix avait progressé, elle était redevenue " comme avant ", normale, elle n’était plus " mécanique ", décomposée comme après l’implantation…
Reconquête du monde sonore, de la communication, audition retrouvée… voix retrouvée ! "