Silence... le poids du vide

Beaucoup de réponses à cette question sur la place du silence dans notre vie de malentendants, de sourds : silence subi, silence inquiétant, silence impossible, silence désiré, recherché pour échapper au bruit insupportable, épuisant !

Ambivalence du silence : " le silence n'existe que par rapport au bruit, parce qu'il y a des paroles susceptibles de se taire... Le silence s'écoute, le silence s'entend... Le silence est multiple... "

" Le silence est langage, écoute et vision. Il est aussi, quand tout s'éteint, maladie de l'âme. Silence du silence quand s'absente la parole, quand tout n'est plus qu'immense solitude, quand il n'y a pas d'autre à qui s'adresser, pour lequel parler, personne à entendre... Monde de l'incréé, de l'inerte, de l'inanimé, matière première : poids de l'Etre "... *

JL

PRELUDE...

Avant tout commencement était le silence... Et puis ce fut l'éveil à la vie, ce fut l'éveil aux sens, prodigieuse adaptation de l'homme à la création : éveil aux couleurs, aux formes, à la lumière, éveil aux bruits, à la parole, éveil aux odeurs, au goût, au toucher. Mise en oeuvre des cinq sens, portes ouvertes sur " l'au-dehors ", sur l'autre, sur le monde... Sens précieux sans lesquels nous manquerait toute possibilité d'être et de devenir.

Pour goûter l'univers des sons, de la parole, de la musique, il faut des " sas " de silence, des pauses où l'esprit se " re-cueille ", se " re-pose ", pour que le non-dit se dise, dans ce silence qui ouvre un nouvel espace à la parole, à la musique. Mais - ô souffrance ! – le silence continu, perpétuel, est synonyme de mort, de " non-être " de néant, de retour à " l'avant-tout-commencement ".

Quand on perd l'audition – brutalement ou progressivement – on vit une sorte de mort : ne plus entendre sa voix ! ne plus entendre la voix des siens ! ne plus entendre ses pas, le froissement de ses pas dans les feuilles sèches de l'automne finissant... Entrée dans un long hiver sans fin... sentiment de mort, de gâchis, d'échec : silence oppressant d'une mort avancée... Perte d'un sens irremplaçable, vital... Silence du sourd coupé du monde, isolé, amputé... Silence : je n'entends plus et je ne parle plus (ou si peu... quand m'est donnée quelque chance de m'exprimer). Silence subi douloureusement, amèrement, avec un sentiment assez vague de culpabilité... inavouée... JL

I – UNE SOUFFRANCE A VIVRE :

" Le silence tient une grande place dans ma vie. Il est subi et inconfortable car il ne me prive pas de choses désagréables et dénudées d'intérêt, mais de choses bonnes en elles-mêmes qui aident à l'épanouissement, à rendre heureux. On " encaisse " cela avec des pincements au cœur, " en silence ", d'autant qu'il n'y a pas d'antidote tout prêt. Rien, par exemple, ne remplace la musique, les voix... c'est le " vide " … 

" Le silence subi... l’impossibilité, depuis des années, d'entendre les nouvelles à la radio. J’y étais très assidue… Enfin, naturellement l’impossibilité, désormais, d’entendre et de comprendre une seule personne, même de près ; il faut faire écrire tout."

" Le silence dans le sens de ne pas parler prend une place beaucoup plus importante puisque j’ai comme tous les malentendants, je suppose, à subir le " silence " lors d’une réunion d’entendants qu’elle soit familiale ou professionnelle, faute de suivre la conversation entièrement et donc parler de ce qu’il faut au moment où il le faut. "

" Moi, j’en veux du bruit ! Mais du bon bruit : de la belle musique, des conférences intéressantes, en société, les conversations… et la voix de ma femme que je n’ai jamais entendue ".

" C’est un " mauvais silence " que l’on expérimente ainsi lorsque l’on entend mal… celui que je garde devant la souffrance de l’autre – quand je voudrais tant pouvoir écouter en vérité, mais bien sûr, sans faire maladroitement répéter (une façon de ramener l’autre à moi…). Là aussi l’alternative est difficile, entre deux silences… "

" Pour beaucoup d’entre nous ce silence " subi " a été un silence " subit " et d’autant plus dur à accepter ".

" Angoisse qui m’a saisie un jour, dans le Paris désert du dimanche matin ! Aucun bruit ne me parvenait… "

" Nous ne sommes pas faits pour vivre dans un monde insonorisé "

" Je vois des bouches ouvertes : aucun son n’en sort. Les voitures roulent en silence. C’est très oppressant… "

" On devient sourd, et c’est comme si l’on n’avait jamais si bien compris ce qu’est le silence. On ressent viscéralement la force des expressions qui lui sont attachées… " un silence de mort ", " réduit au silence " - c’est exactement ça… rapetissée ! dans un groupe… - " briser le silence " - et ce serait briser nos chaînes…

Le silence c’est aussi… tous ces mots qu’on ne dit pas et comment les dire et cette chape de plomb que la surdité fait peser sur nous… "

" Il y a le silence de la parole… le silence est pour moi complètement lié à la musique (cf " le silence qui suit Mozart, c’est encore du Mozart "), il est aussi complètement lié à la parole – dans les deux cas comme lieu de résonance, de respiration… lieu où la parole va pouvoir vibrer, s’échapper, s’épanouir et s’échanger… le silence procède de cette parole et réciproquement. Parce qu’il n’y a plus rien de léger dans la parole – toute conversation requiert effort et tension -, il n’y a plus de silence léger, gratuit, heureux. Presque tout silence dans une conversation duelle, je le ressens lourd, pesant, tendu… ! 

" A l’autre bout de la chaîne il y a le devenu sourd total qui subi un silence absolu et continuel ; je suis de la dernière tranche : absence totale de bruit depuis plus de 40 ans, seules les vibrations par voie osseuse me parviennent. Alors… le bruit ? mais le silence je connais !

L’absence de bruit dans un tel cas est assez stressante dans la rue, les déplacements, il faut être constamment sur ses gardes, sans cesse en alerte, ne pas entendre le bruit des voitures qui arrivent derrière soi, des gens qui veulent vous dépasser et dont vous ne soupçonnez même pas la proximité, les jeunes avec leurs rollers, les annonces par hauts parleurs, les alarmes d’incendie ou autobus.

Certaines personnes ne supportant pas le silence absolu se font appareiller pour ne pas avoir l’impression d’être retranchées du monde, même si ce bruit ne peut leur être utile.

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