Surdités génétiques :

un espoir se lève !

Surdités génétiques… un dossier difficile à traiter pour nous, tant ce thème est imbriqué dans nos histoires personnelles et familiales ; la plupart des textes que nous avons reçus retracent l’histoire d’une surdité – comment on l’a découverte, comment on l’a vécue - C’est un peu l’histoire du siècle qui se déroule devant nous au fil de ces témoignages : la grande guerre, celle de 39, l’évolution des diagnostics et des thérapies jusqu’à la grande espérance génétique de cette fin de siècle : une attente forte pour nos lecteurs, qui manifestent un grand souci de leur descendance c’est pourquoi nous avons rencontré le Docteur Sandrine MARLIN, attachée au service d’ORL de l’Hôpital Trousseau (Enfants malades) et généticienne spécialisée. Mais vivre une surdité d’origine génétique, qu’est-ce que cela implique de spécifique ? 

réponse en quelques situations…

 

Découvrir qu’on entend mal, chercher pourquoi… Chercher d’autres causes, nécessairement d’autres causes… Vivre un mystère… une loterie…

" J’ai lu avec intérêt un article sur ‘les mariages consanguins – conséquence pour la descendance’ Ma mère me dit : en effet les parents de ta grand-mère maternelle sont des cousins issus de germains. Ils ont pu se marier en demandant une dispense spéciale du Pape, qui a été accordée "

" Je fais partie d’une famille de sourds. Nous étions trois filles dans la famille, ma sœur aînée Renée était malentendante depuis environ l’âge de 10 ans. Les médecins ont déclaré que tout cela venait de différentes otites, dont on l’opérait. Pour moi, étant enfant, j’entendais, il me semble, normalement et j’aidais ma sœur aînée dans ses difficultés avec les autres, mais mon entourage me reprochait de faire répéter. C’est passé la quarantaine que j’ai vu un spécialiste qui m’a dit que je souffrais d’otospongiose… "

"  Dans ma famille, il y avait une personne sourde totale que je n’ai jamais connue. Avait-elle aussi une otospongiose ? Elle était paraît-il très gaie malgré son handicap. Je ne saurai jamais rien de plus car c’est très ancien. Depuis personne, à part moi, n’est devenu sourd dans la famille. Est-ce vraiment génétique ? J’arrive à en douter. "

Vivre parfois entouré de malentendants !

"  Dans ma famille, toutes les femmes entendaient mal, ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère, ma sœur aînée, moi-même… ma deuxième fille..  sa fille aînée ne parlant pas à 3 ans a suivi des séances d’orthophonie avec un casque, et maintenant, à 4 ans, on la comprend.. Sa sœur cadette, à 18

mois, a subi le même examen que sa sœur et a aussi un déficit auditif… Ma fille aînée qui entendait bien commence à mal entendre, à 35 ans… "

Se sentir coupable

Surdité le plus souvent évolutive, elle apparaît insidieusement, et vaut des reproches…

" tu es toujours dans la lune ! "

" Je me souviens vers 8 ans qu’on me reprochait de faire répéter, et ceci, paraît-il, par manque d’attention. "

 

Mais surtout : " avoir transmis cette tare " ...

 

" Je sentais bien que Papa se culpabilisait de m’avoir transmis cette maladie ; mais beaucoup de complicité entre nous deux, dans ses 15 dernières années, atténua, je crois, cette souffrance … "

Découvrir la malentendance chez ses ascendants… puis revivre une histoire ‘déjà vécue’… souvent avec une aggravation de la surdité, mais avec d’autres chances…

"  J’avais 7 ou 8 ans et remarquais que ma grand-mère maternelle disait toujours : ‘plaît-il ?’. Je questionnai Maman sur le sens de ce mot, elle me répondit : Bonne Maman n’entend plus bien parce qu’elle est âgée, répète plus haut quand elle te dit cela. C’est tout, on n’en parla plus, et je parlai plus haut. Bonne Maman vécut encore 3 ou 4 ans , s’enlisant de plus en plus en elle-même " 

"  J’ai vu évoluer la surdité de mon père au point que les employés de bureau ou maman devaient répondre au téléphone et lui transmettre les communications. Il a été appareillé plus tard, vers 55 ans, et n’a pu en tirer profit. Mon grand-père paternel, musicien dans sa jeunesse, a terminé sa vie totalement sourd. "

" Mon père décédé à 74 ans faisait beaucoup répéter, mais n’a jamais été appareillé. "

" Souvenir bien ancré dans ma mémoire vive, je vois mon père en larmes au retour d’une opération ratée. J’avais 10 ans.. ; c’était en 1947. La fenestration était censée redonner l’audition aux personnes atteintes de l’otospongiose… En fait mon père n’entendait plus rien. Pétrifiée devant sa souffrance, j’étais incapable de faire un geste, de me jeter à son cou pour le consoler par une étreinte de tendresse, et je crois que mes frères et ma sœur étaient comme moi, immobiles, impuissants…. Après la cicatrisation, il lui fallait vite reprendre son travail de chef-cantonnier… avec un gros boîtier, appareil qui sifflait, séances de travail dans le bureau de l’Ingénieur des Ponts et Chaussées que je devinais difficiles et souvent humiliantes… Lorsque l’otospongiose me marqua ensuite de sa fatalité, je ne fus pas surprise, mais je réalisai alors tout ce que mon père avait pu souffrir.. ; J’ai été plus touchée que mon père qui entendait mieux à 85 ans que moi à 55 ; je me trouvais pourtant privilégiée par rapport à lui, de nouvelles pistes de guérison s’ouvraient alors…

Vivre la solidarité familiale, dans sa propre chair

" Mieux vaut que ça me touche, moi, plutôt que ma sœur ! " " ma famille, elle, n’a rien, encore heureux "...

" Après cette consultation fort bouleversante, j’en ai parlé tout de suite à ma mère (qui le savait déjà bien sûr) mais brièvement, pour ne pas la peiner. J’ai longuement discuté avec mes frères, qui ont été vite sensibilisés à mon problème"

" On sait maintenant que le gène de l’otospongiose peut se transmettre aux enfants, petits-enfants, etc..  On en parle dans ma famille, on est vigilant. .. Quand je suis dans ma famille, je sens beaucoup d’affection, de prévenance et d’attention à mon égard… affaire de solidarité familiale, quoi !

Souffrir du tabou familial, un non-dit..  qui ajoute à la méconnaissance…

" A cette époque, c’était un sujet tabou pour la plupart des familles, mais maintenant on en parle plus facilement grâce aux progrès de la recherche médicale. "

" La surdité familiale héréditaire qui me frappe vient de plusieurs générations. C’est honte et tabou : surtout ne pas faire savoir cet handicap (on entend assez bien pour se faire encore passer pour un entendant, pas question de le révéler). J’ai très mal vécu ce mal-être de non-dits. Pendant de très longues années, la souffrance d’être rejetée par la société m’a profondément marquée et déstabilisée . Au sein même de nos réunions familiales, il y avait des oncles, tantes, cousins, qui n’étaient pas touchés par la surdité et me rejetaient en disant " ah ! oui, toi, tu es sourde " et me tournaient le dos. Bien qu’ils avaient eux-mêmes des ascendants ou des descendants malentendants. "

Pour en savoir plus :

« La lettre de la Génétique » - Pasteur Cerba Laboratoire – Avril 2000 – 95066 Cergy Pontoise.
Tél : 01.34.40.20.87
Fax : 01.34.40.20.85
E-mail : Lab@pasteur-cerba.com

 

 

Témoignage d’Hélène Dussart-Douphy – 63 ans,

Dans ma famille, on compte cinq cas de surdité : mon père, mon oncle, ma sœur aînée, moi-même, mon fils. Par bonheur nous ne sommes pas prolifiques. Je ne peux pas dire grand-chose de mon père, résistant fusillé en mars 1944 - un homme souriant et rêveur… Son frère, ayant vécu longtemps, a connu tous les degrés de la surdité et n’entendait plus grand-chose à la fin de sa vie. Je note au passage que mon père et lui attribuaient volontiers à leur infirmité des causes accidentelles. Il paraît que mon père avait souffert d’une mastoïdite mal soignée : avant 14, c’est plausible. Tous deux rappelaient qu’ils servaient dans l’artillerie lors de la Grande Guerre : évidemment, le bruit de la canonnade n’avait pas dû leur faire du bien ! Ni l’un ni l’autre, je pense, ne réalisaient sérieusement qu’il pouvait s’agir de surdité héréditaire.

Ma sœur et moi avons connu une évolution à peu près identique : du handicap léger à la surdité sévère, à la limite de la surdité profonde. Toutefois la déficience auditive s’est révélée plus tard dans le cas de ma sœur qui, cependant, passait pour une " rêveuse ". Chez moi, on a décelé assez tôt des problèmes d’audition. Mais pour aucune de nous deux, les ORL n’ont établi de diagnostic de surdité de perception avant l’adolescence et même l’âge adulte. Nous avons connu l’ablation des végétations et les insufflations censées nous déboucher les trompes d’Eustache : aïe-aïe-aïe, quel souvenir ! On y mettait le paquet vers 47-48, quand j’avais 10 ans !

Pour moi c’est à 17 ans que j’ai connu la nature de ma surdité. Mais même alors, le diagnostic se voulait rassurant : les ORL évoquaient la possibilité d’une origine accidentelle, d’un traumatisme lors de l’accouchement, ce dont ma mère ne gardait

d’ailleurs pas le souvenir ; ils disaient que mon état resterait stationnaire jusque vers 50-55 ans, et que c’est seulement à cet âge que je devrais me faire appareiller : à peu près le même discours que celui tenu auparavant à ma sœur. Et comme je me souciais de mon orientation professionnelle, l’un d’eux dit à ma mère : " Bah… elle se mariera (sic) et elle aura des enfants, qui n’auront rien… "

Ma sœur n’a pas eu d’enfant ; moi, j’ai eu mon garçon assez jeune… sans l’avoir voulu, comme c’était souvent le cas en 1960. Mon garçon entendait bien ; j’étais soulagée. Tout de même, je posais des questions à plusieurs ORL sur le risque d’hérédité lorsque j’envisageai une deuxième grossesse. Le diagnostic porté dans mon adolescence se révélait déjà erroné : ma surdité s’était bel et bien aggravée, et fort vite. Qu’en était-il d’une possible transmission de mon handicap à mes enfants ? Les médecins ne s’étaient-ils pas trompés aussi ? Je n’ai reçu que des réponses vagues, la recherche en génétique, dans les années 60 étant à peu près inexistante. Seul un ORL a fini par me dire catégoriquement que je risquais d’engendrer des enfants encore plus sourds que moi. J’ai donc renoncé à donner à mon fils une petite sœur ou un petit frère.

Et mon garçon a commencé à souffrir de défaillances auditives vers 13-14 ans. A 18 ans, les ORL ont décelé la surdité de perception congénitale, et prescrit le port de prothèses ; à 18 ans… quel choc pour lui ! (pour moi aussi). A 40 ans, il est aussi sourd que moi au même âge. Néanmoins sa femme et lui ont pris la responsabilité d’engendrer des enfants - 11 et 8 ans l’an prochain... Ils entendent normalement pour le moment, sauf quand ils attrapent – fréquemment – des otites. Que va-t-il se passer lorsque mes petits-fils atteindront leur puberté ? J’ai peur…



… Et la recherche ?

Il existe deux équipes de recherche sur les surdités d’origine génétique pour toute la France : un service de recherche clinique à l’Hôpital Trousseau (Enfants malades) et une autre unité, consacrée à la recherche fondamentale à l’Institut Pasteur – au total, une quinzaine de chercheurs et de techniciens (y compris les étudiants). Cette recherche est toute récente ; auparavant la tâche paraissait trop difficile, compte tenu du très grand nombre de gènes concernés. Le premier gène responsable d’une surdité isolée a été identifié en 1994.

Dans les problèmes de surdité, le Dr S. MARLIN, attachée au service d’ORL de l’Hôpital Trousseau (Enfants malades) et généticienne spécialisée, assure également à Trousseau des consultations de ‘Conseil Génétique’, assez mal dénommé car aucun ‘conseil’ ne peut réellement être donné. Il s’agit avant tout de donner le maximum d’informations aux patients. Il existe plusieurs tests ‘de routine’, qui sont faits, en pratique dans le cadre d’une telle équipe pluri-disciplinaire et après un diagnostic précis : un test génétique, qui implique ascendants et descendants, ne peut pas être entrepris à la légère.

On estime que dans les pays industrialisés 60% des surdités sont d’origine génétique. – ce pourcentage est sans cesse grandissant grâce à une diminution des causes infectieuses et à une meilleure connaissance des bases génétiques de la surdité. Les surdités concernées peuvent être de tout type – transmission, perception, atteinte neurologique. Parmi elles, on distingue :

Parmi les 17 autres gènes, 4 ou 5 concernent des surdités évolutives, et donc plus particulièrement les surdités acquises, et notamment :

L’incidence génétique n’est pas toujours où l’on croit. Ainsi l’otospongiose, qui apparaît dans certains cas typique d’une surdité d’origine génétique serait dans d’autres cas une affection multi-factorielle, où le facteur génétique ne jouerait qu’en partie voire pas du tout selon les cas. A contrario la presbyacousie pourrait être la conséquence d’une fragilité d’origine génétique. Il reste beaucoup à découvrir…

Et la thérapie génique ? Aucun test n’a pu être fait en ce qui concerne les surdités. Une telle thérapie est très lourde, on ne sait pas exactement à quel moment elle est efficace (à la naissance, avant, après…).

L’objectif de la recherche serait davantage de chercher à comprendre comment fonctionne le gène, par exemple à quoi sert la protéine ‘connexine 26’, voir ce qui se passe, et chercher

comment agir sur les conséquences de l’anomalie génique, avec une thérapie classique. Par exemple, si la conséquence est un appauvrissement en potassium au niveau de la cochlée, il suffirait peut-être d’y injecter du potassium – c’est là un exemple purement illustratif, pour le moment aucune thérapie concrète n’apparaît possible.

L’équipe de recherche de l’Institut Pasteur en collaboration avec l’équipe de l’Hôpital Trousseau a mené une étude détaillée sur le CX26 – pourcentages dans la population, étude du gène, etc.. – et souhaiterait pouvoir mener le même protocole de recherche sur les 17 autres gènes identifiés... A ce stade de recherche clinique, l’équipe a besoin de rencontrer de nouveaux cas ; naturellement, elle a également besoin d’argent.



Si vous êtes personnellement concerné, deux possibilités s’offrent à vous :

Dr MARLIN : Mme MEYER . Tél 01 44 73 69 25 – Fax 01 44 73 61 08 - Hôpital ARMAND-TROUSSEAU.

Service d’ORL. 26 Avenue du Dr Arnold Nette. 75571 PARIS CEDEX 12

N’hésitez pas : la recherche a besoin de nous tous !…



Interview reccueillie par J-C. et F. Meignin – F. Quéruel

Hôpital Trousseau le 13/11/2000